Biographie nationale de Belgique/Tome 1/ACHAIRE, Saint

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ACHAIRE ou ACAIRE (Saint), évêque de Tournai et de Noyon, dans la première moitié du viie siècle. D’abord moine à Luxeuil, en Bourgogne, il devint ensuite évêque de ce double diocèse. Le lieu de sa naissance et son origine sont restés inconnus ; mais on a lieu de croire qu’il appartenait à une famille distinguée, car il vécut avec les jeunes gens de sang illustre dont l’abbé de Luxeuil, saint Colomban, confia l’éducation à son fidèle disciple, saint Eustase. Il appartint à cette brillante école monastique, au moment même où elle était à son plus haut point de splendeur ; on l’y rencontre dès l’an 594, et il y eut pour émules en science et en vertu, saint Cagnoald, évêque de Laon, saint Donat, évêque de Besançon, saint Hermenfroi, évêque de Verdun, saint Agile, saint Valeri et une foule d’autres moins célèbres.

On ne connaît au juste quel fut le prédécesseur immédiat de saint Achaire. Les catalogues des évêques de Noyon et de Tournai contiennent les noms de trois prélats dont on ne peut déterminer positivement l’ordre de succession. C’est Gondulphe, dont on ne connaît que le nom ; Évroul, qui n’est aussi connu que de nom et auquel on accorde le titre de saint, et Crasmare, qui siégeait déjà en 574 et qui reçut de grandes marques de faveur de la part de Pepin, roi de Paris, pour les services qu’il lui rendit lors de sa fuite. C’est à Crasmare que le roi Chilpéric donna, dit-on, la seigneurie et le domaine de la ville de Tournai. L’acte de donation, de l’an 575 ou 580, se trouve dans Miræus (Op. diplom., t. I, p. 6, et t. III, p. 1310), où le texte est plus complet. Mais l’authenticité de ce diplôme a donné lieu à des objections que Poutrain examine dans son Histoire de Tournai, t. II. Papebrochius, dans son Propylœum antiquarium circa veri et falsi discrimen in vetustis membranis, imprimé dans les Acta SS. Aprilis, t. II, p. xxviii, no 122, regarde la pièce comme apocryphe.

À ce qu’il paraît, Achaire fut appelé à occuper les siéges réunis de Tournai et de Noyon, à la mort de l’évêque Évroul. On ignore en quelle année et à l’instigation de qui il fut nommé évêque ; mais il l’était en 627, et l’on présume qu’il fut demandé à Saint-Eustase, vers 621. Sa grande science le rendait digne de l’honneur de l’épiscopat, et son zèle suffit à la tâche si difficile de gouverner deux diocèses très-étendus. S’il trouva un courageux auxiliaire dans saint Amand, il coopéra, de son côté, au succès des travaux de cet illustre apôtre, qui exerça particulièrement ses fonctions pastorales dans la Gaule belgique, plongée encore, en grande partie, dans le paganisme et la barbarie. Achaire seconda ses efforts. Aimé et vénéré des rois Clotaire II et Dagobert Ier, il usa de son crédit près de ces princes pour faire appuyer par l’autorité temporelle la prédication de l’Évangile et la propagation de la civilisation dans cette partie de nos provinces où le christianisme avait le plus de conquêtes à faire. Il demanda à Dagobert des lettres qui permissent à saint Amand de se présenter avec plus de sécurité au milieu des sauvages habitants du nord de la Flandre et du Brabant ; il obtint aussi du même prince, comme de son successeur, plusieurs priviléges en faveur de son troupeau et des aumônes pour les pauvres et les malheureux.

Saint Amand, ayant reproché à Dagobert la licence de ses mœurs, son luxe et son avarice, fut banni du royaume. Achaire, malgré son crédit à la cour, malgré l’estime que le roi professait pour lui, ne put empêcher cet acte de colère ; mais son intervention contribua peut-être plus que tout autre motif à engager Dagobert à rappeler, vers 630, Amand de son exil. Un peu plus tard, en 636, lorsque le siége de Térouane vint à vaquer, il détermina ce prince à y nommer Omer, son ami et son ancien compagnon. Il l’avait connu à Luxeuil et nul ne lui parut plus propre à remplir cette tâche laborieuse et importante ; car Térouane et ses environs, déjà une fois éclairés par les lumières de l’Évangile, étaient retombés sous le joug de l’idolâtrie. La suite démontra qu’Achaire ne s’était point trompé dans ce choix. Omer avait trouvé son diocèse presque entièrement païen ; à sa mort, en 670, il le laissa entièrement chrétien.

Ces faits, recueillis dans les actes authentiques de plusieurs autres saints, font regretter que l’on ne connaisse pas d’une manière plus complète la vie de saint Achaire. Il mérite incontestablement de prendre rang parmi les évêques qui ont le plus contribué, au VIIe siècle, à répandre les bienfaits de la civilisation chrétienne dans les anciennes provinces de la Belgique.

On ignore l’époque précise de sa mort ; mais l’opinion la plus probable la fixe au 27 novembre 639. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en 640 nous le voyons remplacé sur le siége épiscopal de Tournai et Noyon par saint Éloi. Il fut inhumé dans l’église de Saint-Pierre-et-Paul, située hors des murs de Noyon et appelée aujourd’hui l’église de Sainte-Godeberte.

Ses vertus et surtout son zèle apostolique le firent ranger, presque immédiatement après son décès, au nombre des saints. Sa fête se célèbre à Tournai sous le rite semi-double et à Noyon sous le rite double. Molanus, du Saussay, Chastelain et d’autres hagiographes le nomment sous le 27 novembre, jour où il est aussi mentionné dans le martyrologe de Paris. Hugues Menard le place, on ne sait pourquoi, au premier novembre. Ghesquiere, dans ses Acta SS. Belgii, t. II, p. 331, a donné une dissertation sur le culte rendu à la mémoire de saint Achaire ; il y rectifie quelques inexactitudes historiques qui se trouvent dans le Proprium de Tournai et dans le bréviaire de Noyon. Ainsi c’est à tort que le Proprium de Tournai, dans la troisième leçon du second nocturne, dit que saint Achaire a fait une translation des reliques de saint Munebole ou Mumbole, un des compagnons de saint Fursy, abbé de Lagny. Cette cérémonie n’eut lieu que cent quatre-vingt-dix ans plus tard, en 831, alors que Halitgaire était évêque de Cambrai et Aichar ou Achard (Aicharius ou Achardus), évêque de Tournai et de Noyon. La similitude des deux noms paraît avoir été la cause de cet anachronisme. Ainsi encore l’assertion du bréviaire de Noyon, d’après lequel saint Achaire présida, par ordre du roi Thierri II, à l’élection de saint Salve, évêque d’Amiens, est dénuée de fondement, comme nous l’avons prouvé dans notre Hagiographie nationale, t. I, p. 139.

P. F. X. de Ram.