Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BEAULIEU, Jean-Pierre baron DE

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BEAULIEU, Jean-Pierre baron DE




BEAULIEU (Jean-Pierre baron DE), homme de guerre, naquit le 26 octobre 1725, au château de Lathuy, près de Jodoigne, et mourut à Lintz, le 22 décembre 1819. Il n’avait encore que dix-sept ans, lorsque le gouverneur général des Pays-Bas, le prince Charles de Lorraine, l’admit dans son régiment avec le grade d’enseigne. Doué d’un caractère audacieux et d’une activité dévorante, il se fit de suite remarquer et obtint bientôt une sous-lieutenance en récompense de son zèle et de son application. Pendant la guerre de la succession d’Autriche, qui s’ouvrit en 1744, il trouva de fréquentes occasions de déployer une intrépidité et un sang-froid qui furent cités plusieurs fois, avec éloge, dans les rapports officiels de l’époque. Lorsque la guerre de Sept-ans éclata (1756) il se trouvait à la tête d’une compagnie. Le maréchal Daun se l’attacha en qualité d’aide de camp. A la bataille de Collin, il rendit des services signalés et reçut sa première blessure ; à la prise de Schweidnitz, aux combats de Breslau et de Leuthen, au blocus d’Olmutz, aux journées de Hockirchen, de Géra, de Maxen, partout enfin il sut se faire remarquer et obtint successivement, pour prix de sa bravoure, les grades de major et de lieutenant-colonel, la croix si précieuse de l’ordre de Marie-Thérèse et le diplôme de baron. Après la guerre, le maréchal Daun, président du conseil aulique de guerre à Vienne, le rappela près de lui et lui fit obtenir le grade de colonel d’état-major. Le goût des arts que le colonel De Beaulieu avait toujours montré, le fit désigner, peu de temps après, pour la direction des travaux d’embellissement des palais impériaux. Les plans qu’il fit dans ce but furent presque tous exécutés sous ses yeux. Cette besogne terminée, il obtint, vers 1768, d’être attaché au gouvernement militaire des Pays-Bas.

Le baron De Beaulieu passa là de longues années, en partageant son temps entre les études militaires et les travaux agricoles pour lesquels il avait un goût particulier, et ce fut au milieu des beaux jardins de Brocqui, créés par lui, que les événements de la révolution brabançonne vinrent le surprendre. Nommé général-major en 1789, il contribua puissamment aux succès de la campagne de 1790, qui ramena le gouvernement autrichien à Bruxelles, et il obtint, en récompense de ses services, le grade de lieutenant-général, le collier de commandeur de l’ordre de Marie-Thérèse et la propriété d’un régiment hongrois, honneur qui jamais jusqu’alors n’avait été accordé à un Belge.

En 1792, lorsque les républicains français envahirent la Belgique, le général De Beaulieu, bien qu’il n’eût sous ses ordres qu’un faible corps, repoussa les premières colonnes ennemies et ne cessa, pendant près de deux années, de neutraliser les efforts des Français pour s’établir en Belgique. Il avait été chargé d’abord de couvrir la forteresse de Luxembourg ; il se rapprocha ensuite de Namur pour combiner ses mouvements avec ceux de la grande armée autrichienne. Il battit les républicains à Templeuve (27 août 1793), délivra Furnes, reprit Menin et s’avança jusqu’aux glacis de Lille.

L’année suivante, il sut tenir en échec l’armée de la Moselle, avec un corps dont l’effectif n’égalait pas le quart des troupes républicaines et, bien que la bataille d’Arlon (16 avril) n’eût point été décidée en sa faveur, elle ne lui fit pas moins le plus grand honneur. Grâce à son activité infatigable, ses troupes se trouvèrent à même, quinze jours après cette affaire, de repousser les républicains de toutes les positions où ils s’étaient établis. Elles se mirent en mouvement le 29 avril, délogèrent l’ennemi successivement de Claire-Fontaine, d’Altert, de Bonnert, de Messency, mirent le camp de Bellevaux en pleine déroute (19 mai), puis enlevèrent de vive force la ville de Bouillon qui était restée sans défense. La gloire de ces succès fut malheureusement ternie par les excès odieux auxquels les soldats se laissèrent entraîner : un couvent de religieuses fut souillé par des scènes de brutalité que l’histoire doit flétrir. Le général De Beaulieu se hâta de quitter ce triste théâtre des misères de la guerre ; il traversa rapidement la province de Namur et alla s’établir sur les hauteurs de Gosselies. L’armée française de Sambre et Meuse, forte de soixante-quinze mille hommes, venait de franchir la Sambre (12 juin), sous la conduite du général Jourdan et s’était campée près de Fleurus ; elle fut attaquée dans ces positions par l’armée autrichienne (16 juin), qui remporta une victoire complète après une lutte acharnée, qui se prolongea jusqu’à cinq heures du soir. Le général De Beaulieu commandait la première colonne d’attaque, qui d’abord s’empara de Velaine et des hauteurs de Chapelle-Sainte-Barbe, puis décida le sort de la journée, par l’effort héroïque qu’il fit contre Lambusart et Campinaire, après sa réunion avec la colonne du feld-maréchal Werneck. Malheureusement les alliés ne surent pas profiter de cette victoire ; les Français passèrent de nouveau la Sambre, le 18, et vinrent bombarder Charleroi pour la quatrième fois. La garnison refusa, jusqu’au 25, toutes les offres de capitulation ; à cette date, se trouvant hors d’état de prolonger la résistance, elle dut se rendre, mais obtint toutefois les honneurs de la guerre comme un hommage accordé à sa bravoure. Le lendemain de cette capitulation, des secours désormais inutiles lui arrivaient ; les deux armées ennemies se trouvèrent alors en présence et le 26, à la pointe du jour, s’engagea la deuxième bataille de Fleurus. Dans ce combat, le général De Beaulieu qui commandait la gauche des impériaux, après s’être assuré des passages de la Sambre, attaque les républicains avec vigueur, enfonce la division du général Marceau, s’empare de Velaine, expulse l’ennemi du bois de Copeaux, enlève Lambusart, puis s’arrête devant un ordre de battre en retraite que lui envoie le généralissime prince de Cobourg.

D’après le témoignage de Jomini, la bataille de Fleurus, qui décida du sort de la Belgique, aurait été gagnée par les alliées si la valeur et l’habileté que déployèrent les généraux De Baillet et De Beaulieu avaient été secondées par l’action combinée des autres colonnes. Malheureusement, le prince de Cobourg était encore sous l’influence de vieilles routines de guerre et ne se doutait pas que l’art consiste à attaquer un point du front ennemi avec la plus grande partie de ses forces ; il avait, selon l’usage suivi servilement par les généraux allemands de cette époque, multiplié les colonnes et les attaques sans établir entre elles de liaison ; la plupart de ces colonnes étaient même déjà en retraite au moment où le général De Beaulieu obtenait à la gauche des succès qui devaient rester stériles. C’est très-probablement aux fautes qui furent commises dans cette journée par l’état-major autrichien, qu’il faut rattacher la disgrâce dans laquelle tomba le général De Beaulieu, à qui le prince de Cobourg retira son commandement. Toutefois, l’empereur d’Autriche lui conféra la grand’croix de l’ordre de Marie-Thérèse et lui confia les fonctions de quartier-maître général de l’armée, dès que le général Clerfayt en prit le commandement en remplacement du prince de Cobourg. Mais ces fonctions, qui correspondent à celles de chef d’état-major général d’aujourd’hui, convenaient peu à l’esprit indépendant et dominateur du général De Beaulieu ; il ne les conserva que jusqu’au commencement de l’année suivante (1795).

Les victoires que les Français avaient remportées en Italie, dans la campagne précédente, engagèrent le gouvernement impérial à opposer à l’illustre chef des troupes républicaines, le général, qui par ses talents et ses antécédents semblait être le digne adversaire du jeune héros républicain. De Beaulieu reçut donc, avec le grade de feld-zeugmester (général d’artillerie), le commandement en chef de l’armée autrichienne en Italie (1796). Mais au lieu de lui donner, comme on le lui avait promis, des forces suffisantes pour chasser l’ennemi du territoire piémontais, on se borna à lui envoyer des renforts insignifiants. Quel que fût le mérite du général De Beaulieu, qui comptait alors plus de soixante et onze ans d’âge, c’était se faire singulièrement illusion que de croire qu’il pût vaincre, avec l’armée combinée dont la majeure partie était peu docile à ses ordres, le jeune et glorieux héros qui allait se placer, par ses victoires, au rang des plus illustres capitaines. Les événements devaient démontrer bientôt toute la vanité de ces espérances. De Beaulieu ayant reçu du conseil aulique l’ordre positif de prendre l’offensive, fit faire à son armée un mouvement malencontreux qui portait sa gauche renforcée sur Gênes, tandis que son centre restait dégarni. Le général Bonaparte profita habilement de cette faute : il porta ses masses contre le centre dégarni de son adversaire et parvint à séparer l’armée autrichienne de l’armée sarde. Beaulieu établit son quartier-général à Acqui, et après d’inutiles efforts pour secourir ses alliés à Mondovi, il dut se replier sur le Pô. Espérant encore couvrir Milan et défendre Mantoue, il s’établit sur la rive gauche de l’Adda et livra au pont de Lodi une bataille qui lui fit honneur, mais qui n’arrêta pas cependant le cours des succès de Bonaparte.

Il se retira alors derrière le Mincio ; mais la cour le rendit responsable de revers qu’on aurait dû attribuer en grande partie à l’insufiisance des moyens mis à sa disposition, et il fut invité à céder son commandement au feld-maréchal Wurmser (juin 1796). Il se retira près de Lintz, dans ses propriétés, où il vécut dans la retraite pendant vingt-deux années encore.

Napoléon a dit avec justice, du général De Beaulieu, que c’était un officier distingué qui avait acquis de la réputation dans les campagnes du Nord (Mémorial de Sainte-Hélène). De Beaulieu avait, en effet, de brillantes qualités ; il était réputé pour son courage et pour son caractère entreprenant ; il savait faire manœuvrer avec une habileté peu commune des corps nombreux ; il possédait surtout l’art de parler au soldat, de l’électriser ; très-souvent, il en a obtenu des prodiges d’audace et de dévouement. Dans la campagne d’Italie, il n’a pas su enchaîner la victoire ; son étoile a pâli en face du génie de Napoléon ; mais ce revers ne saurait obscurcir la gloire dont il couvrit son nom pendant cinquante années de fidèles et éclatants services. On croit que le général De Beaulieu avait rédigé des mémoires sur ses campagnes, mais on ignore ce que sont devenus ces documents, qui révéleraient problablement des particularités du plus haut intérêt, sur les événements auxquels il s’est trouvé mêlé.

Général Guillaume.

Stassart, Notices biographiques. — Guillaume, Histoire des régiments nationaux belges pendant les guerres de la révolution. — Jomini, Histoire des guerres de la révolution française.