Biographie nationale de Belgique/Tome 3/CAMARGO, Marie-Anne DE CUPIS

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CAMARGO, Marie-Anne DE CUPIS



CAMARGO (Marie-Anne DE CUPIS), danseuse renommée, née à Bruxelles, où elle fut baptisée à l’église Saint-Nicolas, le 15 avril 1710, morte à Paris le 29 avril 1770. Marie-Anne de Cupis (et non Cupi ou Cuppi) Camargo ou, comme on l’appelle d’ordinaire, la Camargo, appartenait à une famille d’origine italienne qui se glorifiait d’avoir compté parmi ses membres un cardinal et d’autres hauts dignitaires de l’Église. Cette famille quitta Rome pour se fixer à Bruxelles, où elle s’allia à des lignées patriciennes et, notamment, aux d’Orville et aux Van Ghindertaelen. Le premier Cupis dont les documents nous parlent se nommait Alexandre et portait le surnom de Camarcque ou Camargo, qui lui est attribué dans l’octroi pour tester qu’il obtint, le 5 avril 1617. Il servit dans les armées du roi d’Espagne en qualité de capitaine de cavalerie et épousa Élisabeth, fille d’un vaillant soldat wallon, Thierri Lejeune, seigneur de la Baillerie, à Bousval. De cette union sortit une lignée nombreuse, dont les différentes branches n’eurent pas le même sort. La branche aînée finit en la personne d’une Marie-Madeleine de Cupis Camargo, dame de la Baillerie, qui mourut sans enfants, le 14 janvier 1755, et dont la pierre sépulcrale, ornée de huit écussons, que le gouvernement belge a fait restaurer il y a quelques années, se voit encore à l’entrée de l’église paroissiale de Baisy, sous la tour de cet édifice. Le nom de Cupis-Camargo fut alors attribué, par des lettres patentes en date du 28 mai 1755, à un avocat au conseil souverain de Brabant, Pierre-Joseph de Hulder, dit de Bouchaut, qui, après avoir été plusieurs fois présenté par le lignage bruxellois des Serroelofs pour faire partie du magistrat de la capitale des Pays-Bas autrichiens, fut nommé échevin en 1761.

Ferdinand-Joseph de Cupis-Camargo, moins bien partagé par la fortune, vivait à Bruxelles, au commencement du XVIIIe siècle, en donnant des leçons de musique et de danse. La position modeste qu’il occupait dans le monde et l’origine obscure de sa femme, Anne De Smet, ne lui avaient pas inspiré des goûts bien humbles. Son caractère se révèle tout entier dans la requête qu’il adressa, en l’année 1728, au cardinal de Fleury, à l’occasion de l’enlèvement de ses deux filles par le comte de Melun. Il s’y qualifie d’écuyer et de seigneur de Renoussart (fief dont nous avouons ignorer la situation) et déclare qu’il saurait, à l’occasion, prouver seize quartiers de noblesse; puis il ajoute : « Hors d’état de pouvoir soutenir son rang et chargé de sept enfants, il a gémi sans murmurer, il a cherché à procurer à ses enfants des talents particuliers et des arts libres qui pussent, sans qu’ils dérogeassent, subvenir aux besoins de la vie; il a fait donner à l’un des instructions pour la peinture, à d’autres pour la musique, à d’autres pour la danse. » Il permit à ses filles d’entrer à l’Opéra, mais pourquoi? parce que le roi Louis XVI avait voulu que l’on pût être à l’Opéra sans déroger, et « sous la condition que lui et son épouse y conduiroient ses filles et les reprendroient en sortant. »

Après avoir reçu de son père ses premières leçons de danse, la jeune Camargo fut conduite à Paris, où mademoiselle Prévost, qui faisait alors les délices de la capitale de la France, lui enseigna l’art dans lequel elle excellait. Au bout de trois mois, elle revint dans sa ville natale, où il ne fut bientôt question que de son rare talent. Un nommé Pélissier, directeur du théâtre de Rouen, l’engagea parmi sa troupe; cette entreprise n’ayant pas réussi, la Camargo se rendit de nouveau à Paris, où mademoiselle Prévost se ressouvint d’elle et la présenta comme son élève. Elle débuta, au mois de mai 1726, dans l’opéra d’Atys, et devint bientôt l’idole du public. Ses succès furent si éclatants que sa maîtresse employa toute son influence pour réléguer la jeune Bruxelloise dans une position subalterne; mais Blondy, qui était alors le directeur des ballets de l’Opéra, prit celle-ci sous sa protection, et, tout en complétant son éducation d’artiste, lui procura l’occasion de se produire sur la scène avec éclat. Bientôt on ne parla plus que de la Camargo, elle donna son nom à des modes nouvelles et ses fournisseurs devinrent les fournisseurs obligés des premières dames du grand monde.

La beauté et la grâce qui relevaient le talent de la brillante danseuse lui valurent de nombreux adorateurs; néanmoins elle resta longtemps sage et sa conduite réservée avait encore augmenté l’estime qu’inspirait son talent, lorsqu’un jour on apprit que la Camargo et sa sœur Anne-Catherine, baptisée le 8 juillet 1713 et qui était également entrée à l’Opéra, avaient été enlevées par le comte de Melun. Épris à la fois des deux danseuses, le voluptueux gentilhomme les avait séduites l’une et l’autre et les avait conduites en son hôtel, rue de la Couture-Saint-Gervais (10-11 mai 1728). Ferdinand de Cupis réclama avec énergie; il aurait voulu que le comte épousât l’aînée de ses filles et dotât la cadette. C’était demander beaucoup, à une époque où le libertinage le plus éhonté régnait à la cour de Versailles et dans la haute société de Paris; le pauvre père n’obtint sans doute que des dédommagements en argent ou en cadeaux et bientôt il s’éteignit dans l’oubli.

Quant à la Camargo, elle reparut devant le public, qui fut loin de lui garder rancune. En 1734, le comte de Clermont l’enleva à son tour, et cette fois de son plein gré, à ce qu’assura la chronique scandaleuse. Six ans après, elle reparut au théâtre dans le ballet des Fêtes grecques et romaines. Si l’on en croit un de nos meilleurs critiques d’art, dont nous ne trahirons pas l’incognito, « elle exécutait toutes les danses nobles bien mieux que la célèbre Prévost; quant aux gavottes, aux rigodons, aux tambourins, aux loures, qu’on appelait les grands airs, elle les rendait avec une supériorité plus incontestable encore... Elle introduisit les jupons courts à l’Opéra, parce que les longs vêtements gênaient sa danse vive et pétulante; mais, pour accorder la décence avec ce qu’exigeait le caractère de son talent, elle mit des caleçons, ce qui ne s’était fait avant elle. » On connaît le madrigal dans lequel Voltaire oppose à la Camargo une de ses rivales :

Ah ! Camargo, que vous êtes brillante!

Mais que Sallé, grands dieux, est ravissante!
Que vos pas sont légers, mais que les siens sont doux!
Elle est inimtable et vous êtes nouvelle :
Les Nymphes saillent comme vous,

Mais les Grâces dansent comme elle.

On doit conclure de ces vers que la Camargo devait surtout ses succès à la vivacité de sa danse, qui fit paraître maniérées, prétentieuses, les figures dont on était engoué. On croirait difficilement, si le fait n’était attesté par l’auteur auquel nous avons déjà fait de nombreux emprunts, et qui a puisé à de bonnes sources, que notre danseuse n’avait que deux mille cinq cents livres d’appointements, outre, parfois, une gratification de cinq cents livres. D’ordinaire, les talents futiles sont mieux rétribués. Marie-Anne de Camargo ne se retira qu’en 1751; elle obtint du roi de France la pension dont mademoiselle Prévost avait joui, et mourut à Paris en l’année 1770.

François de Cupis de Camargo, l’un de ses frères et qui fut baptisé à Bruxelles dans la paroisse des Saints Michel et Gudule, le 10 mars 1719, se fit une certaine réputation comme violoniste; il entra, en 1741, dans l’orchestre de l’Opéra, qu’il quitta en 1764, et laissa deux fils, tous deux musiciens : l’un, de peu de talent, et qui mourut en 1772; l’autre, d’un mérite réel, nommé Jean-Baptiste, et qui épousa la cantatrice Julie Gasperini, avec qui il vivait à Milan, en l’année 1794.

Alph. Wauters.

Album national, 1re et 2e livraisons. — Romey, dans le Nouveau Dictionnaire de la Conversation, t. IV, p. 352 (edit. de Bruxelles). — Schoonen, Esquisse biographique sur la Camargo (Almanach artistique de la Belgique. Bruxelles, 1849, in-12). — La Belgique ancienne et moderne, canton de Genappe, passim.